Face à la contestation montante de la profession, le paysage pharmaceutique français se voit ébranlé par un mouvement inédit : la mobilisation des officines contre l’obligation croissante de préparer et distribuer des piluliers individualisés pour les résidents en Ehpad. Dans un contexte où les grandes enseignes telles que Pharmacie Lafayette, Pharmacie Giphar ou Aprium Pharmacie sont également interpellées, la réponse collective de l’Ordre National des Pharmaciens et des syndicats professionnels aiguise les regards sur l’avenir des soins aux personnes âgées. Associations d’usagers, directions d’établissements et proches des seniors observent, parfois inquiets, l’escalade d’une grogne témoignant d’une crise de confiance dans la chaîne du médicament. Retour sur les ressorts et enjeux d’une mobilisation qui rebat les cartes du quotidien en maison de retraite comme en officine.
Les racines de la mobilisation : difficultés rencontrées par les pharmaciens de proximité
Au cœur des tensions qui agitent la profession, les obligations croissantes de préparation de piluliers pour les résidents en Ehpad sont vécues comme une charge lourde par les officines de proximité. Alors que les usagers des maisons de retraite nécessitent une sécurisation accrue de la dispensation médicamenteuse, beaucoup de pharmaciens, notamment du Groupement des Pharmaciens Résidents ou des réseaux tels que Pharmactiv et PharmaVie, dénoncent un surcroît de travail administratif sans contrepartie financière adaptée.
Depuis plusieurs mois, les principales fédérations – la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France ou l’Union des Syndicats de Pharmaciens d’Officine – ont relayé de nombreux témoignages de praticiens à bout de souffle. Ces derniers font état de :
- Multiplication des opérations de conditionnement à la main, avec un risque d’erreur accru dès lors qu’il faut gérer une grande quantité de traitements et de changements de prescriptions.
- Délais de livraison courts imposés par les Ehpad, au détriment du temps consacré à la vérification pharmacologique indispensable.
- Manque de dialogue avec les établissements qui, face aux exigences réglementaires, alignent parfois leurs demandes sans concertation réelle avec l’écosystème local.
- Pression pour industrialiser des tâches traditionnellement manuelles, amenant certains à réfléchir à des solutions d’externalisation ou à une automatisation partielle au risque de déshumaniser le service.
- Isolement des petites pharmacies rurales qui, faute de moyens, peinent à respecter les standards fixés par certains Ehpad et se voient menacées d’éviction par de grands réseaux mieux équipés.
De nombreux acteurs issus de villes comme Marcey-les-Grèves ou La Grève-sur-Mignon, où la présence d’une officine est souvent cruciale pour le maintien des services médicaux, rappellent la difficulté d’adapter le dispositif dans des territoires déjà frappés par la désertification médicale (en savoir plus sur l’accompagnement en Ehpad à Marcey-les-Grèves).
À travers ces exemples, un consensus émerge : la charge supplémentaire de la préparation des piluliers ne s’accompagne ni des ressources humaines ni de la reconnaissance financière nécessaire pour garantir la sécurité thérapeutique. Ce ressentiment constitue l’un des principaux moteurs de la grève en préparation.
Ce climat de tension détermine déjà un changement profond dans la relation entre pharmaciens de proximité et gestionnaires d’Ehpad, avec des conséquences concrètes sur la capacité à assurer un suivi individualisé et humain pour les personnes âgées.
Le contexte réglementaire et l’impulsion des pouvoirs publics : entre sécurité et surcharge
La distribution automatisée de piluliers au sein des Ehpad s’est accélérée depuis la publication de textes réglementaires imposant de nouvelles normes de sécurité. Sous la pression de l’Ordre National des Pharmaciens et dans la foulée de recommandations européennes, la France a promu la préparation centralisée sous forme de piluliers individualisés.
Ce mouvement, salué par nombreux gériatres, vise à réduire les erreurs médicamenteuses, fléau longtemps documenté dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Pourtant, la profession s’interroge sur la pertinence de certaines contraintes ajoutées ces derniers mois :
- Obligation de traçabilité intégrale de chaque pilulier et nécessité d’archivage des lots distribués, complexifiant la gestion quotidienne en officine.
- Contrôle accru de l’Ordre National des Pharmaciens avec audits et visites surprise, sources de stress et de surcharge pour les équipes.
- Exigences informatiques nouvelles, obligeant à adopter des solutions coûteuses de gestion des stocks et des délivrances automatisées.
La volonté gouvernementale, relayée par l’action du Groupement des Pharmaciens Résidents, est d’aller vers une homogénéisation des pratiques, mais au détriment de la souplesse et de la capacité d’adaptation locale. À Saint-Agrève, où l’on expérimente des pôles innovants pour accompagner les malades d’Alzheimer (article à lire), la complexité de la coordination entre pharmacie d’officine et Ehpad a entraîné une multiplication des rendez-vous entre acteurs locaux pour trouver un terrain d’entente.
Les syndicats alertent sur les conséquences indirectes du durcissement réglementaire :
- Augmentation du temps passé à la gestion administrative au détriment du conseil pharmaceutique.
- Frictions récurrentes avec les Ehpad, qui ont parfois recours à la menace de changer de prestataire au sein de réseaux concurrents, comme Pharmacie Lafayette ou Forum Santé.
- Émergence d’une tension sur les prix de service, certains établissements cherchant à dépouiller les offres de toute valeur ajoutée pour privilégier le moindre coût.
En 2025, la situation atteint un point de rupture, la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France envisageant une coordination sans précédent entre indépendants et grandes enseignes pour faire entendre la voix de la profession, déjà marquée par la pénurie de personnel dans de nombreuses régions (voir la situation à Saint-Agrève).
La tension croissante entre exigences réglementaires et réalité du terrain dresse un contexte explosif pour les mouvements de contestation à venir.
Émergence d’un front syndical uni dans le secteur pharmaceutique
Jamais la profession n’avait vu une telle unité syndicale. Inspirée des récents mouvements sociaux menés dans d’autres secteurs médico-sociaux – comme celui survenu à l’Ehpad de Cazaubon (lire l’article) – la grogne des pharmaciens rassemble aussi bien les réseaux intégrés que les indépendants. Sous la houlette de l’Union des Syndicats de Pharmaciens d’Officine, la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France et le Groupement des Pharmaciens Résidents œuvrent à la préparation d’un mouvement coordonné à l’échelle nationale.
Des initiatives se multiplient également localement :
- Mise en place de registres de doléances dans chaque point de vente du réseau PharmaVie ou Aprium Pharmacie.
- Campagnes d’information auprès des familles de résidents pour expliquer les motifs de la contestation et leurs impacts potentiels sur la dispensation.
- Rencontres avec les représentants des Ehpad afin de négocier un moratoire sur l’application de certaines nouvelles règles pendant la période de grève.
- Soutien croisé avec d’autres branches du secteur médico-social ayant elles aussi été confrontées à des épisodes de grève, à l’image des travailleurs de l’Ehpad de Saint-Just-en-Chaussée (voir ici).
L’Ordre National des Pharmaciens est appelé à jouer un rôle d’arbitre, non sans mal, tant l’hétérogénéité des situations locales complexifie le dialogue. Certaines officines membres de la Pharmacie Giphar ou de Forum Santé rappellent la nécessité de préserver la dimension humaine du métier, à l’instar de Mme Delmas, responsable d’une officine en zone rurale, qui explique : « Notre valeur ajoutée repose sur la proximité, la confiance et la personnalisation du service ; on ne peut pas traiter nos aînés comme de simples numéros de lots à gérer ! ».
Le front syndical avance des revendications claires :
- Renégociation des modalités de préparation des piluliers.
- Revalorisation financière des tâches de conditionnement.
- Arrêt immédiat des menaces de rupture de contrat entre Ehpad et officines en cas de refus de l’industrialisation du service.
- Dialogue renforcé avec les autorités pour trouver un équilibre entre sécurité et faisabilité opérationnelle.
À ce stade, la solidarité professionnelle couplée à une pression médiatique croissante laisse présager une mobilisation d’ampleur dans les prochaines semaines, capable de redéfinir les rapports de force entre acteurs de la chaîne du médicament en Ehpad.
Impacts de la grève sur les Ehpad et les résidents : préoccupations, ripostes et innovations
Face à la perspective d’une paralysie partielle de la chaîne d’approvisionnement médicamenteux, directions d’Ehpad et familles de résidents expriment leur inquiétude. L’annonce d’une grève coordonnée de Pharmacie Lafayette à Pharmactiv suscite une série de réactions en cascade, parfois relayées par la presse et les réseaux sociaux.
- Retards potentiels dans la livraison des piluliers et nécessité de recourir temporairement à la préparation des doses par le personnel soignant, au risque de voir remonter le taux d’erreurs d’administration.
- Recours à des solutions de dépannage, telles que la collaboration exceptionnellement renforcée avec d’autres officines non grévistes.
- Mobilisation d’associations d’usagers pour défendre le maintien d’un service pharmacien personnalisé, y compris dans des situations tendues (à titre d’exemple, les réactions à Saint-Michel-en-Grève ont été relayées localement).
L’impact de la grève ne se limite pas à la dispensation : il pose aussi la question de la relation humaine entre professionnel de santé et résident. Plusieurs établissements pionniers, tels que l’Ehpad de Mozé à Saint-Agrève avec son vélo tandem innovant (voir l’expérience), rappellent que la qualité du soin passe aussi par un dialogue permanent et une écoute, fragilisés lors de périodes de mobilisation sociale.
Dans certaines régions, la riposte s’organise par l’innovation. Des plateformes collaboratives entre structures médicales ont vu le jour, favorisant la mutualisation temporaire du personnel qualifié pour la préparation des piluliers. Leur efficacité reste à démontrer, mais elles incarnent une volonté de ne pas sacrifier l’essentiel : la sécurité des seniors.
D’autres Ehpad explorent la piste d’une « dispensation partagée », impliquant à la fois les pharmaciens, les équipes soignantes et les familles, comme en témoignent des expériences en cours à La Grève-sur-Mignon (en savoir plus). Ces initiatives, si elles restent minoritaires pour l’instant, dessinent peut-être une nouvelle forme de collaboration post-crise.
- Lancement de brigades temporaires d’accompagnement en cas de crise pour pallier les absences de pharmacien.
- Déploiement d’ateliers d’information pour les proches afin de sécuriser l’auto-médication, notamment lors des grèves.
- Projets pilotes de robotisation de la préparation dans certains réseaux comme PharmaVie, avec l’appui de l’Ordre National des Pharmaciens pour veiller à la conformité réglementaire.
En filigrane, une conviction commune : la santé des personnes âgées doit rester la priorité, quels que soient les soubresauts du dialogue social.
Le dialogue en mutation : vers une refonte des conditions d’exercice en pharmacie d’officine ?
La multitude des événements – mobilisations, discussions institutionnelles, innovations organisationnelles – laisse entrevoir une transformation profonde du secteur. La grève, en éclairant les paradoxes et tensions entre sécurité et réalisme économique, oblige les parties prenantes à repenser le modèle de relation pharmacie/Ehpad.
D’ores et déjà, plusieurs axes de refondation émergent dans le débat public :
- Reconnaissance du rôle stratégique du pharmacien comme professionnel pivot du parcours médicamenteux des seniors en structure collective.
- Nécessité de moderniser la rémunération pour les tâches de conditionnement et de suivi, assortie, dans certains cas, d’un fonds de soutien aux petites officines rurales vulnérables.
- Ouverture du dialogue social à l’ensemble des parties – directions d’Ehpad, familles, représentants syndicaux et pouvoirs publics – pour sortir de la logique du rapport de force.
- Investissement dans les outils innovants de préparation et de traçabilité, en veillant à préserver le lien humain essentiel pour les plus fragiles.
L’actualité des derniers mois, marquée par des épisodes de grève inédits dans le secteur du grand âge (> voir la fin de grève à Korian Épinal), témoigne d’un climat où chacun cherche à sortir par le haut, sans briser la dynamique de confiance qui doit unir officines, Ehpad et usagers seniors.
Si la mobilisation organisée par la Fédération des Syndicats Pharmaceutiques de France et l’Union des Syndicats de Pharmaciens d’Officine s’annonce déterminante, elle ouvre aussi une fenêtre de réflexion inédite pour refonder le pacte entre pharmacie et société. Les seniors et leurs familles, au cœur de ce bouleversement, seront les premiers observateurs et – espérons-le – les premiers bénéficiaires des avancées à venir.
Face à l’ampleur des enjeux, la capacité à nouer un nouveau dialogue partenarial sera sans conteste le défi majeur pour garantir à la fois efficacité collective et attention individualisée à chaque résident, sur tout le territoire français.
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