Sur fond de crise du grand âge, les résultats de la récente étude de la Drees secouent le secteur des Ehpad privés. Les chiffres pointent sans détour : les Ehpad gérés par les grands groupes privés tels que Korian, Orpéa, DomusVi, Domidep et Colisée affichent des prix d’hébergement sensiblement plus élevés, pour un encadrement du personnel souvent moins fourni. Cette réalité réveille chez les familles et les professionnels la question récurrente du rapport qualité-prix, alors que l’implantation de ces établissements s’étend à certaines zones urbaines et littorales, laissant grandes ouvertes les fractures territoriales. Derrière ces constats, se nouent des enjeux cruciaux autour du choix du lieu de vie, des conditions de travail et de la prise en charge des plus vulnérables.
Tarification des Ehpad privés : des prix plus élevés chez les grands groupes
La question du coût de l’hébergement en Ehpad reste au cœur des débats depuis plusieurs années, et l’analyse récente de la Drees vient affirmer l’existence de fortes disparités tarifaires. Pour les personnes âgées et leurs familles, choisir un Ehpad relève trop souvent du casse-tête financier. Selon les statistiques pour 2022, un résident en grand groupe privé débourse en moyenne 98 euros par nuit, contre 89 euros pour un Ehpad privé « indépendant » et 60 euros dans le secteur public.
- 98€/jour en Ehpad des grands groupes privés lucratifs
- 89€/jour dans autres Ehpad privés à but lucratif
- 60€/jour dans le secteur public
L’écart de tarif ne se résume donc pas à une simple différence d’enveloppe globale, mais pose aussi la question de l’accessibilité de ces structures pour les personnes les plus modestes. L’aide sociale à l’hébergement (ASH), par exemple, y est moins fréquemment mobilisable, accentuant la fracture sociale. Les familles doivent alors composer avec un reste à charge important, d’autant plus que ce surcoût n’est pas toujours corrélé à une amélioration des services proposés.
Cet écart de prix s’explique, en partie, par des frais de gestion plus élevés et des investissements immobiliers conséquents dans certains établissements — mais la qualité perçue du service ne suit pas toujours cette inflation. Par ailleurs, des groupes comme Korian ou DomusVi mettent fréquemment en avant des innovations ou des espaces récréatifs, mais la réalité de terrain, en matière d’encadrement humain, ne répond pas toujours aux promesses. Plusieurs associations comme UFC-Que Choisir ou le collectif Maisons de Famille appellent à une vigilance accrue sur la transparence des prix et sur l’existence de prestations réelles derrière les catalogues promotionnels.
Les disparités tarifaires s’observent jusque dans les régions. À Paris ou sur la Côte d’Azur, où Korian et DomusVi sont bien implantés, il est courant de voir les prix moyens s’envoler. À l’opposé, dans le Massif central ou dans l’ouest, la part des Ehpad publics domine : ici, les établissements comme Résidalya et Villa Beausoleil restent moins représentés, ce qui tend à préserver des tarifs plus accessibles.
- Différences de prix accrues en Île-de-France et sur le littoral méditerranéen
- Préservation des tarifs publics dans les zones rurales ou moins attractives
- Certains établissements combinent prix élevé et absence de services spécialisés (UHR, accueil Alzheimer)
Enfin, il est important de souligner que l’augmentation des tarifs dans le secteur privé n’est pas compensée par une dotation plus importante en personnel, comme nous allons le détailler dans la suite.
Effets concrets sur les familles et le choix de l’Ehpad
À la lumière de ces chiffres, comment les familles s’orientent-elles ? L’expérience d’Élise, dont la mère réside chez Domidom, illustre bien la difficulté à concilier budget et attentes de qualité. Contrainte de quitter Paris à cause d’un budget limité, elle déplore un « parcours du combattant » pour trouver une structure à la hauteur, alors que de nombreux établissements affichent complet ou des listes d’attente à rallonge. Sur ce type d’initiatives, on découvre aussi que l’enjeu va au-delà des chiffres : il s’agit aussi de soutenir le lien social au quotidien, dans le respect du pouvoir d’achat des retraités.
Devant cette complexité, la transparence des tarifs, les aides disponibles et la réalité du service sur place deviennent des critères essentiels, tout comme la réputation (souvent contrastée, comme l’a montré l’affaire Orpéa) de chaque groupe. Pour nombre de seniors et d’enfants, le choix d’un Ehpad repose aujourd’hui autant sur l’aspect financier que sur la confiance accordée à la direction locale et à l’équipe sur place.
Taux d’encadrement et qualité de prise en charge : le point noir des grands groupes privés
À l’ombre des tarifs, un indicateur retient particulièrement l’attention des experts et des familles : le taux d’encadrement. On parle ici du nombre d’employés (aides-soignants, infirmières, animateurs…) pour 100 résidents. La Drees relève que les Ehpad des grands groupes tels que Korian, Orpéa, DomusVi, Domidep et Colisée n’atteignent pas celui de leurs homologues publics ou associatifs. En 2022, le secteur public hospitalier affiche une moyenne de 72,9 encadrants pour 100 résidents, alors que les géants privés plafonnent à 60,2.
- 72,9 encadrants/100 résidents : secteur public hospitalier
- 60,2 encadrants/100 résidents : grands groupes privés
- Moins d’infirmières et d’aides-soignantes par résident dans le privé
Le manque d’effectif touche surtout les professions paramédicales. Par exemple, dans les groupes comme Korian ou Orpéa, on recense en moyenne 28,8 aides-soignantes pour 100 résidents, contre 34,6 dans la fonction publique. L’écart est notable pour les infirmières également, avec 6,8 pour 100 (secteur privé lucratif) contre 8,5 pour 100 dans le public hospitalier.
Ce déficit structurel a des conséquences directes sur la qualité d’accompagnement et la réactivité face aux besoins des résidents. De nombreux témoignages, relayés dans différents établissements de DomusVi et Colisée, évoquent des délais d’attente accrus, un suivi médical moins individualisé, et une plus grande rotation du personnel. Autant d’éléments qui pèsent sur le bien-être au quotidien. Le directeur d’un établissement Emera rapporte : « Il s’agit souvent de jongler entre plusieurs urgences, faute de bras. La vocation première s’en trouve mise à mal. »
- Charges de travail élevées pour le personnel
- Risque d’épuisement professionnel
- Difficultés à établir des liens de confiance durables entre résidents et soignants
Les associations d’aidants insistent sur ce point : pour des personnes dépendantes, chaque minute compte. La fragilité du ratio personnel/résidents peut devenir un facteur-clé d’insatisfaction, voire de pertes de chance et de souffrance psychologique. Certains établissements cherchent à compenser par des services extérieurs ou des activités, mais cela ne remplace pas une présence humaine réelle. Les expériences comme celles où les résidents choisissent eux-mêmes leur équipe soignante témoignent de la nécessité d’innover en management pour renforcer le lien et le respect dans la prise en charge.
L’écart de taux d’encadrement pose aussi la question du modèle économique privilégié par ces groupes. Le recours à la mutualisation du personnel, parfois au détriment de la stabilité des équipes, s’explique par la recherche d’optimisation financière — une logique qui n’est pas toujours compatible avec la philosophie d’accompagnement « à taille humaine » que recherchent nombre de familles.
Incidences sur la vie quotidienne et sur la santé des résidents
Quels impacts concrets sur la vie de tous les jours pour les résidents ? La Drees met en avant des situations où, faute de personnel, certaines tâches du quotidien prennent du retard. Les horaires de repas ou de toilette, la gestion des traitements, voire les activités collectives, en pâtissent. Cela peut également créer des situations de stress, tant pour le personnel que les résidents, fragilisant encore plus les plus vulnérables.
- Retards dans la distribution des repas ou des médicaments
- Moins d’activités collectives proposées
- Solitude accentuée pour certains résidents très dépendants
Des initiatives locales, à l’image du défi sportif Olympehpad dans l’Allier, cherchent à pallier ce manque en mobilisant bénévoles et partenaires extérieurs. Mais ces actions restent ponctuelles et ne sauraient régler le problème de fond.
Disparités géographiques et concentration du secteur des Ehpad privés en France
Le paysage des Ehpad en France est marqué par des inégalités territoriales accentuées. Les grands groupes privés se taillent une part de marché grandissante, mais leur présence varie fortement d’une région à l’autre. Selon la Drees, ils gèrent 13% des Ehpad nationaux, mais dans certains départements d’Île-de-France ou sur la Côte Atlantique, plus d’un établissement sur cinq leur appartient. À l’inverse, dans le Massif central ou en Bretagne intérieure, ils sont quasi absents, laissant la majorité du secteur au public ou au privé associatif.
- Concentration dans les grandes agglomérations, littoraux, zones touristiques
- Implantation faible ou nulle de groupes comme Maisons de Famille ou Emera dans de nombreuses campagnes
- Offre majoritairement publique dans 85% des Ehpad ruraux
Ce phénomène de « concentration » a des conséquences sur l’accès à l’hébergement spécialisé. Dans certaines régions, le choix se réduit drastiquement pour les familles, d’autant que les établissements privés affichent souvent des tarifs plus élevés et peu de places pour les bénéficiaires de l’aide sociale.
La concurrence joue également sur la qualité de l’offre : là où les grands groupes sont peu implantés, les structures publiques et associatives ont parfois plus de moyens pour offrir des services adaptés. Ainsi, la Charente-Maritime, la Gironde ou les Alpes-Maritimes concentrent davantage d’établissements exploitant le label Korian ou Colisée, à mille lieux de la logique des petites maisons à gestion familiale.
L’exemple du nouvel Ehpad en construction à Landrecies, présenté sur maison-de-retraite.net, illustre bien la dynamique territoriale et la façon dont le secteur évolue là où les besoins augmentent. Les grands groupes investissent en priorité là où l’offre publique est peu développée et la clientèle potentielle plus solvable, à l’image des seniors parisiens ou des retraités du Sud.
- Marché très concurrentiel dans les métropoles
- Difficultés d’accès à une offre variée dans certains départements ruraux
- Exemples locaux de nouvelles implantations publiques pour diversifier l’offre
La répartition inégale des grands groupes, telle qu’elle apparaît dans la cartographie de la Drees, n’est pas neutre : elle détermine le prix, la variété des services et, in fine, la liberté de choix des personnes âgées et de leurs familles. Cette réalité oblige collectivités et acteurs associatifs à imaginer des solutions hybrides et à investir dans de nouvelles formes d’accueil, d’autant que les situations de dépendance augmentent avec l’allongement de la durée de vie.
Initiatives locales et fracture d’accès : études de cas régionaux
Certains territoires, pour réduire la fracture d’accès, s’engagent dans des projets pilotes. À Chomérac (Ardèche), une représentation théâtrale au profit des résidents de l’Ehpad Yves Perrin vise à soutenir le maintien d’une structure publique de proximité (détail ici). Autre exemple, dans l’Orne, une exposition photo réunit les témoignages de résidents sur leur vision de la liberté, renforçant le lien social et intergénérationnel (voir l’initiative).
- Animations culturelles pour compenser l’isolement
- Mobilisation d’acteurs locaux pour diversifier les services
- Appropriation citoyenne des enjeux d’accueil du grand âge
Ces expériences montrent que, derrière les chiffres nationaux, l’humain et la solidarité locale restent déterminants dès lors qu’il s’agit d’améliorer le quotidien des seniors hors des grands pôles urbains.
Équipements spécialisés et innovations : les Ehpad privés à la traîne ?
L’un des points cruciaux révélés par la récente étude concerne la présence d’unités d’hébergement renforcées (UHR) et d’unités dédiées aux personnes handicapées vieillissantes. Or, sur ce terrain, les Ehpad privés – grands groupes compris – restent loin derrière le secteur public.
- Seul 1% des Ehpad des grands groupes privés dispose d’une UHR
- Contre 14% des établissements publics hospitaliers
- Équipements spécialisés quasi inexistants pour les publics les plus fragiles dans le secteur privé
Les UHR, indispensables à l’accueil des personnes atteintes d’Alzheimer ou de troubles sévères du comportement, sont rares chez DomusVi, Maisons de Famille, Les Jardins d’Arcadie ou Emera. Ce déficit impacte lourdement l’accompagnement des plus dépendants, obligeant parfois les familles à déménager très loin ou à accepter un accueil inadapté.
La situation est similaire pour les personnes présentant un handicap vieillissant : seul 1% des Ehpad privés disposent d’unités spécifiques, contre 4% pour le secteur public. Cet écart s’explique par la logique de rentabilité : la gestion d’unités spécialisées demande des investissements et des compétences spécifiques, moins attractifs pour des acteurs soumis à la pression des marges.
- Peu d’équipes formées aux pathologies lourdes
- Difficultés à recruter et fidéliser du personnel spécialisé
- Innovations en matière d’accompagnement encore rares dans les grands groupes
Néanmoins, l’innovation n’est pas totalement absente du privé. Des initiatives voient le jour, notamment en matière d’animation et d’ouverture sur l’extérieur. À Saint-Brieuc, le 106e anniversaire exceptionnel d’une centenaire en Ehpad a donné lieu à des festivités remarquées (à lire ici). À Saint-Malo, des chefs étoilés font découvrir leur cuisine aux résidents lors d’événements gourmands (exemple concret). Ces projets valorisent la qualité de vie, mais peinent à compenser l’absence criante d’unités spécialisées dans l’offre médicale et paramédicale.
L’avenir de l’équipement spécialisé dans les Ehpad privés
La question est donc posée : comment faire évoluer le secteur pour répondre à la prise en charge croissante des pathologies du grand âge ? Plusieurs experts proposent d’inciter financièrement les groupes comme Colisée, Domidom ou Les Jardins d’Arcadie à investir davantage dans les spécialités.
- Création de labels pour les innovations médico-sociales
- Soutien public aux projets atypiques ou mixtes
- Incitations à former plus de soignants spécialisés
Le débat reste vif : à la croisée du médico-social et du domaine privé, le secteur doit faire preuve de créativité, tout en garantissant une couverture idéale de l’ensemble du territoire pour ne laisser aucun senior en marge.
La satisfaction et le vécu des résidents : un regard humain sur les chiffres
Derrière les statistiques, la réalité quotidienne prime. De nombreux retours consignés dans les rapports d’associations, mais aussi lors d’animations culturelles ou d’expositions, mettent en lumière la diversité des situations vécues par les personnes âgées hébergées dans les Ehpad privés des grandes chaînes.
- Satisfaction souvent liée à l’engagement individuel de certains personnels
- Insatisfaction fréquente sur les temps d’attente et la charge de travail du personnel
- Besoin grandissant de proximité humaine et d’écoute individualisée
Par exemple, certains Ehpad DomusVi ou Korian développent des ateliers de parole ou des échanges intergénérationnels pour compenser les déficits d’encadrement. Les témoignages des familles évoquent cependant souvent la « solitude dans la foule » et la difficulté à rester maître de son quotidien. Le ressenti de dépendance et d’impuissance s’accentue quand le personnel est sursollicité ou peu renouvelé.
Malgré tout, des espaces de partage existent, à l’image des activités festives organisées par Villa Beausoleil ou Emera, où la mobilisation associative, la créativité locale et la bienveillance font la différence. Les retours d’expériences lors de grands événements, tels que les conscrits à l’Ehpad de Coublanc (en savoir plus), prouvent que la dimension humaine du soin reste essentielle, au-delà des indicateurs financiers.
- Ateliers culturels ou mémoriels mis en place par certains grands groupes
- Mobilisation de bénévoles pour rompre l’isolement
- Valorisation des souvenirs et de la parole des anciens via des expos ou des événements sportifs
On note aussi une tendance naissante : certains établissements pilotent des projets d’amélioration continue axés sur le retour direct des résidents, renforçant leur pouvoir de décision et leur estime d’eux-mêmes. Cette démarche, encore marginale, s’inscrit dans une volonté de repenser la gouvernance du secteur, à l’inverse de certains schémas purement économiques.
Du chiffre au vécu : la nécessité d’un accompagnement sur-mesure
Le défi reste immense, mais l’expérience montre que le soin ne se résume pas à la simple arithmétique du nombre d’employés ou au montant du tarif journalier. Pour bâtir l’avenir des Ehpad en France, il faudra dépasser les logiques de rentabilité pure et renouer avec la vocation première : prendre soin, dans toutes les dimensions humaines. Les conclusions de la Drees interpellent, offrant matière à réflexion et à action à tous les décideurs et familles concernés.
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